Corée : l’éveil de la crevette

13 janvier 2017
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Curieux, collectifs, et avides d’échanges et de partage, les artistes qui présentaient leur travail à l’occasion du Festival d’hiver de Séoul, du 4 au 14 janvier, renouvellent tranquillement le paysage du jeune public Sud-Coréen.

Le Festival d’hiver de l’ASSITEJ Corée recevait, cette année, le Comité exécutif de l’ASSITEJ Internationale. Tous coréens (1), les 14 spectacles présentés, à un public entièrement familial, témoignent de la vitalité d’une nouvelle génération d’artistes, en train d’imposer des valeurs largement ouvertes à l’international : “Le shrimpisme (de l’anglais shrimp : crevette)”, explique Seok-Hong Kim, chargé du jeune public au sein du KAMS, l’équivalent coréen de l’Institut Français, “est un terme coréen qui exprime que nous voyons notre pays comme une toute petite crevette, coincée entre de grosses baleines, comme le Japon et la Chine. La crevette a tout intérêt à être imaginative.

Lee Cheolsung – CCOT

Cheolsung LeeJ’ai passé de longues années, seul à travers le monde, avec mon sac sur le dos, et ça m’a appris l’importance du contact physique“, raconte Lee Cheolsung, qui commence la présentation de son parcours par… une séance de massage à l’intention de son auditoire. Poète reconnu, titulaire d’une maîtrise en poésie française, il est né en 1969, s’est formé en Corée, puis à l’Ecole de Théâtre Visuel de Jerusalem. Il définit la compagnie qu’il a créée, CCOT, comme un espace de théâtre expérimental.

Son travail, multiforme, interactif, emprunte à la poésie, à la peinture, au théâtre de rue, à la vidéo et s’adresse alternativement aux enfants, ou à tous les âges. Mettant en avant la dimension politique de la création et l’engagement de l’artiste comme du public, il n’hésite pas à aborder dans ses spectacles des problématiques telles que la question des réfugiés.

CCOT : videos
The Giant’s Table, spectacle jeune public
The Massager – Spectacle tout public

Le Brush Theatre, un collectif jeune public

brushLe Brush Theatre est sans doute l’une des compagnies jeune public coréennes les plus programmées à l’étranger. Fait notable, elle se définit comme un collectif, composé de 21 personnes. Prenant le risque d’une participation au Off du festival d’Avignon dès la création de son premier spectacle, elle a fait de l’international un axe essentiel de son travail, s’appuyant, par exemple, sur les conseils d’un agent newyorkais.

Le personnage principal de “The overcoat”, présenté dans le cadre du Winter festival, est une petite fille, qui met tout en œuvre pour empêcher son père de partir au travail, sans pouvoir y parvenir. Elle se réfugie, alors, dans un monde imaginaire. La laine constitue, au sens propre, le fil conducteur de cette comédie, à base d’objets et de vidéo.

Brush theatre : videos
The Overcoat – Brush Theatre
The Tiniest Frog Prince – Brush Theatre

Rencontre avec Kil Jun Lee, directeur du Brush Theatre

Quelle vision de l’enfant développez-vous dans vos spectacles ?

Mon fils, qui a six ans, joue, la plupart du temps, tout seul. J’essaye d’être avec lui, mais ce n’est pas toujours possible. Nous vivons dans le capitalisme, c’est un monde d’utilité. Nous avons beaucoup de choses, mais les liens entre les gens, en particulier entre les générations, parents, grands-parents, sont fragiles. J’ai donc voulu travailler sur le lien. Dans le système éducatif, ici, les enfants ont peu de chances d’accéder à un monde fondé sur l’imaginaire. J’essaie donc d’en apporter sur scène. L’une des dimensions les plus importantes de notre travail est que nous essayons de respecter l’imagination de notre public.

L’une des scènes représente, de façon très descriptive, la fillette qui se noie. Figurer la mort d’un enfant, est-ce une chose courante dans le spectacle pour la jeunesse, en Corée ?

Nous ne pouvons pas échapper à l’image des 200 enfants que nous avons perdus il y a deux ans (2). Nous avons voulu montrer que nous devons prendre soin les uns des autres.

Quelles sont vos influences à l’étranger ?

J’ai étudié à New York, vu des tas de spectacles de tous les genres, c’est d’une grande influence pour moi. Mais, surtout, je suis fou du Théâtre du Soleil. C’est le but de nos productions : nous devrions être des égaux. Tous les ans, nous invitons des acteurs du Théâtre du Soleil pour des ateliers. Ils nous apprennent que la vérité est sur la scène. Il nous disent que le temps que vous prenez à répéter vous est rendu en cadeau, plus tard.

Vous vous êtes organisés en collectif, ce qui est plutôt inhabituel, dans une société très compétitive. Est-il difficile de vivre une vie d’artiste, en Corée ?

Oui ! Même si c’est pareil pour tout le monde. Ce qui nous aide, c’est de faire du théâtre pour l’enfance. Nous avons un public. C’est gratifiant.

J’ai des rêves pour ma compagnie. Je voudrais qu’il y ait 80 personnes sur scène. Mais nous sommes réalistes. Nous partageons, nous développons notre espace. Petit à petit, nous avons réussi à avoir notre lieu. Il est entouré de murs blancs sur lesquels, quand nous créons un spectacle, nous dessinons les scènes, les unes après les autres. Quand le spectacle est créé, nous repeignons tout en blanc.

Poésie et environnement

Révélée à l’international par le film “The host” (2006), la préoccupation de beaucoup d’artistes coréens pour les problématiques environnementales est d’autant plus vive que l’économie du pays repose largement sur l’industrie lourde. Ces deux compagnies ont choisi de traiter ce sujet de deux façons différentes

Granpa Mang-tae : Monstres et gobelets

gobelets

Tout le monde le sait, il existe un monstre particulier pour les enfants pas sages. Un pas de côté, un gros mensonge, Mang-tae viendra, vous enlèvera et vous emprisonnera, avec d’autres mauvais sujets tels que vous. Mais les enfants sont-ils les seuls à faire des bêtises ? Est-ce que maman fait des bêtises ? Existe-t-il un Mang-tae pour les mamans ?

Cette histoire est racontée par la marionnettiste Park Young-Hee (Théâtre Mun), avec les personnages qu’elle réalise avec des gobelets en carton : au pays de Samsung, une façon de promouvoir l’imagination, plutôt que la consommation.

Make a rocket : Recyclage et conquête spatiale

NAMU

Quatre amis aux poches vides veulent aller sur la lune. Mais ils n’ont, pour ce faire, que des objets de récupération et leur ingéniosité. Les premiers spationautes coréens s’envoleront-ils grâce au recyclage?

“Make a rocket” (Compagnie Na-Mu) est une comédie “à message”, loufoque et énergique, à partir de 3 ans.

1 : L’ASSITEJ Corée organise tous les ans deux festivals : Festival d’hiver (national), Festival d’été (international)
2 : Le 16 avril 2014, le ferry boat Sewol faisait naufrage, provoquant la mort de plus de 200 enfants. Le gouvernement est fortement mis en cause par la société civile pour sa gestion de cette catastrophe.