Une lettre des acteurs associatifs au gouvernement
En ces temps incertains où le monde du théâtre et du spectacle vivant regarde son avenir proche avec une forte inquiétude mêlée d’impatience, en ces temps de reprise partielle du cadre scolaire où tous les acteurs des gestes éducatifs s’interrogent avec la même inquiétude responsable, il nous paraît indispensable de réaffirmer la nécessité et les ressources de l’Éducation Artistique et Culturelle.
Cette EAC fait partie de l’exception culturelle française. Elle est le fruit d’une longue histoire, qui est née après la première guerre mondiale, a été relancée après la seconde et s’est déployée dans les années 2000. L’Éducation Artistique et Culturelle est un lien essentiel qui s’est créé entre enfants, jeunes et artistes, entre école et spectacle vivant, sur le terreau de l’éducation populaire. Cette histoire dont la France peut s’enorgueillir conduit directement au plus innovant des projets construits et réalisés ces dernières années partout sur le territoire français entre des structures culturelles, des compagnies, des associations, des artistes, des techniciens, d’un côté, et des établissements scolaires, des enseignants, des éducateurs, des classes, des enfants et des jeunes, d’autre part.
Cette histoire est le résultat d’un militantisme assez humaniste pour croire que l’enfance et la jeunesse méritent le meilleur du théâtre et du spectacle quand, dans le même temps, s’est affirmée la nécessité d’un renouvellement de l’école, puisé aux mêmes sources.
L’Éducation Artistique et Culturelle est indispensable à la bonne santé du spectacle vivant comme elle est indispensable à la bonne santé de l’école. Nous affirmons, et constatons, qu’elle est tout aussi indispensable à la bonne santé du tissu social et de la démocratie et ce sur l’ensemble du territoire.
Tout au long de l’année 2019-2020, ce sont ainsi des dizaines de milliers d’enfants, de jeunes qui ont assisté à des spectacles, qui ont rencontré des comédiens, des auteurs, des musiciens, des danseurs, des circassiens, qui ont lu du théâtre, ont décerné des prix, qui se sont épanouis en pratiquant les arts du spectacle sur un plateau ou dans une classe. Dans le même temps, ce sont des milliers de professionnels qui se sont investis dans des projets partenariaux, y ont consacré du temps, de l’énergie et de l’argent parce qu’ils croient dans la jeunesse de leur art et dans ses vertus intergénérationnelles. Les diverses initiatives déployées durant le temps du confinement en apportent la preuve.
Il n’est pas envisageable que toute cette histoire soit mise à mal dans le contexte actuel. C’est, au contraire, à la consolidation de l’EAC qu’il faut collectivement travailler. Quelles que soient les conditions sanitaires à venir, il faut que la France se montre digne de son exception culturelle et profite de la nécessaire reconfiguration du secteur pour faire avancer l’Éducation Artistique et Culturelle, sans ignorer le passé et donc sans risquer de repartir en arrière en croyant avancer.
Aujourd’hui, dans la situation inédite que nous vivons, il s’agit de répondre à des questions de fond : comment peut exister une véritable rencontre entre les enfants, les jeunes, les artistes, les œuvres ? Comment peut exister une véritable éducation par l’art, celle qui permet l’émancipation de l’individu, quelles que soient les circonstances ? Le geste artistique adressé à l’enfant, au jeune, partagé avec des adultes, est fondateur de la personnalité, au même titre que les autres apprentissages. L’enfant fragilisé par la crise et l’incertitude des lendemains ne peut pas en être privé. Mais ce geste artistique partagé ne peut pas être occasionnel, en dehors de tout vrai projet, ni encore moins occupationnel. Il doit être également réalisé par les artistes dans le cadre du respect du statut qui leur est propre.
Il est donc urgent d’inventer l’EAC post-confinement en préservant un équilibre capital, à la fois dans la continuité de son histoire porteuse de valeurs et en même temps dans la prise en compte du bouleversement où se retrouvent, provisoirement, les artistes, les jeunes et les éducateurs. L’EAC ne peut être ni galvaudée ni amputée de ce qui lui est fondamental. Bien au contraire, elle doit prendre une dimension augmentée : quel sens aurait « voir, jouer, interpréter » si ce triptyque fondateur ne permettait pas à l’enfant actuellement fragilisé à la fois de grandir et de trouver sa place dans la société? Comment permettre aux enfants de s’épanouir, de rêver, imaginer, créer, de s’interroger et échanger avec les autres au-delà de la peur ? Comment permettre aux enfants, artistes, structures culturelles et éducateurs, ensemble, de croiser leurs visions du monde, d’expérimenter, de participer à une vie collective et d’avoir des expériences sensibles?
Un chantier partenarial large doit s’ouvrir pour répondre à ces questions.
Forts de notre travail partenarial, nous demandons donc aux trois ministères concernés, Éducation Nationale, Enseignement supérieur et Culture, au-delà des dispositifs mis en place pour le mois de juin et l’été, qu’ils s’engagent ensemble et avec nous dans un travail de concertation nécessaire à l’avenir de l’EAC, que ce soit pour ses formes, ses modes de partenariat ou ses conditions de mise en œuvre et de rémunération. Dans le respect de nos diversités et en pleine complémentarité, nous avons beaucoup à apporter et à proposer pour que la rentrée prochaine reste celle de tous les possibles.”