Créer pour l’enfance est un acte profondément enthousiasmant. Nous le savons, nous qui créons, écrivons, rêvons ou accompagnons les gestes de création artistique à destination des plus jeunes. C’est un acte fort, précieux, poétique et profondément politique. S’adresser à l’enfance dans notre milieu culturel où le tout public est défini à partir de 18 ans, et n’inclut pas implicitement l’enfance, demande de la détermination. Nous devons être bien accrochés à nos gestes artistiques et à nos motivations profondes.
S’adresser au tout public, ce ne serait donc que s’adresser aux adultes, avec une option possible pour les grands adolescents ? Rien que cette idée révèle le clivage auquel nous, qui créons pour l’enfance, devons chaque jour faire face, tête haute, le sourire aux lèvres et bien droit(e)s dans nos baskets. Il y aurait donc des niches ? Et non pas un public qui pourrait rester un en mêlant âges, conditions et perceptions ? Si on y regarde de plus près, ça fait peur mais ça porte un nom : l’enfantisme. Dans notre société, les enfants seraient-ils un groupe minoritaire et marginalisé par les adultes ? Et les artistes qui œuvrent pour l’enfance subiraient-ils le même phénomène de marginalisation ? Pas sûre qu’il soit possible de formuler ce type de pensée à voix haute… Mais si c’était le cas, il serait beau de rêver et d’œuvrer à ce que les enfants parviennent à une égalité de droit avec les adultes. Et que les artistes du jeune public parviennent à une égalité des chances avec leurs congénères du « tout public ».
Mais sommes-nous capables de remettre en question le statut d’adulte en tant que mode de domination ? De donner une juste place aux expériences, à la voix et aux points de vue des enfants en tant qu’êtres humains dans la société ? Vous allez me dire que je vais un peu loin pour un édito de Noël ? Mais justement c’est la fin d’année et il va bien falloir rêver la suivante. Et puis après tout quand l’hiver s’installe, c’est pour mieux accueillir le printemps, non ? Et la vérité est que les équipes artistiques jeune public sont encore trop souvent fragilisées.
Alors, mon profond respect, à toutes celles et ceux qui, cette année, ont osé s’attaquer à ce « plafond de verre » qui sépare le jeune public du tout public, à toutes celles et ceux qui n’étaient pas suffisamment médiatiques, qui se sont pris des croche-pieds sur la ligne d’arrivée, celles et ceux dont les portes se sont fermées, temporairement ou définitivement… Bravo et merci à vous.
Le travail continue. En profondeur. Avec motivation, enthousiasme et insolence. Il faut continuer à organiser le partage, la fraternité, la coopération dans nos professions. Rêver notre propre épanouissement en même temps que celui que nous proposons. Car s’adresser à tous, c’est s’adresser aux grands et aux petits, à ceux qui sont proches, comme à ceux qui sont éloignés des structures culturelles. C’est s’adresser au monde de demain, en proposant aux enfants des espaces d’émerveillement indispensables pour penser autrement, modifier leurs références. Se confronter à des espaces de réflexion. Rêver. Contempler et s’éveiller au sensible. Car le monde de demain sera sensible.
Et puis le monde d’hier est déjà mort, et celui d’aujourd’hui en voie d’extinction. Les tours d’ivoire sont des cimetières ou tout au plus des jolis musées… La place est donc entièrement libre pour penser notre profession différemment.
Que cette fin d’année vous soit douce et que la nouvelle vous retrouve des projets plein la tête, du culot plein les veines et de l’enthousiasme à revendre.