Au commencement, l’esprit est chameau. Il se charge de fardeaux pesants, endure les pires épreuves et souffre la faim dans son âme. Au fond du désert le plus solitaire s’accomplit alors une métamorphose : l’esprit devient lion. Il veut conquérir la liberté, s’affranchir de tout devoir et dire « je veux ». Enfin, le lion devient enfant. “Pourquoi faut-il que le lion féroce devienne enfant ?”, demande Zarathoustra. Que peut faire l’enfant que le lion ne pouvait faire ? Nietzsche répond : « L’enfant est innocence et oubli, un renouveau et un jeu, une roue qui roule sur elle-même, un premier mouvement, un “oui” sacré. »
A l’heure où j’écris ces mots, notre pays menace de basculer dans la haine et le refus de l’autre. A l’heure où vous les lirez nous saurons. Le fil qui nous relie les uns aux autres, le combat que nous menons pour nous rassembler et faire communauté n’ont jamais été aussi tendus, essentiels et urgents.
Donner la parole aux artistes, écouter nos enfants, partager les mots de nos auteurs et de nos autrices contemporain·e·s, quelle que soit l’issue finale, reste notre plus belle mission. Transformer la vie en oeuvre d’art en retrouvant l’enfance, c’est sans doute par ce geste inaliénable et immuable que nous posons une pierre à l’édifice artistique et social en construction, malgré la menace d’effondrement qui nous guette plus que jamais. Nous sommes comme ce funambule nietzschéen prêts à tomber à tout instant dans le précipice. Alors peut-être qu’il nous faudra garder en tête, aux moments où d’autres voudraient que nous courbions l’échine, que c’est justement et paradoxalement la menace qui tient le fil tendu et qui permet la traversée. Alors oui sûrement devrons-nous garder en coeur, aux moments où d’autres voudraient que nous nous découragions, que c’est justement et paradoxalement le risque de tomber qui garantit toujours le prochain pas et qui est aussi la condition pour atteindre l’autre rive.
Pour refaire le monde, inventer de nouvelles valeurs, lancer vers le ciel les dés de l’existence, c’est enfant qu’il faut devenir !
Pour gagner son propre monde, alors que nous avons perdu le nôtre, c’est enfant qu’il faut devenir !
L’enfant n’est pas un âge quitté mais un état d’être. L’enfant n’est pas un âge déchu, mais ce qu’on doit atteindre, un horizon lumineux et vivant, sans cesse se questionnant et s’enthousiasmant de l’autre.
Laissons vivre en nous ce petit être qui court, qui danse et qui rit ! Car peut-être sommes nous enfin prêts pour commencer la troisième métamorphose de l’esprit…?!